Bérengère Henin
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TEXTES DE CRITIQUES

ÉVA PROUTEAU // SINZIANA RAVINI // CÉLINE ROBIN // JULIE CRENN

 

Née en 1983 à Paris, Bérengère Henin vit et travaille à Malakoff.
Diplômée de l’école Estienne en gravure ( 2001-2004 ) puis des Beaux Arts de Paris ( 2004-2009 ),
elle a également étudié la linguistique à l’université Paris 7 ( 2005-2008 ).

Elle poursuit un travail personnel hétéroclite axé sur la Vanité.

En 2011, elle participe au 56ème Salon de Montrouge et dévoile Êtes-vous Sûr( e ) ?, une grande mosaïque réalisée en collaboration avec l’artiste anthony peskine.
En 2012, elle figure dans l’exposition Réelle Présence à la Galerie Christophe Gaillard.
À la veille de 2013, elle organise une exposition pirate dans les casiers du Palais de Tokyo.
En 2014, elle fait partie de l’expostion HA,HA,HA, l’Humour, l’Amour, la Mort et est sélectionnée pour l’expostion Jeune Création qui se tient au 104.
En 2015, elle participe au Nouveau Festival au Centre Pompidou et à une table ronde au Musée Picasso.
En 2016, elle est présentée à la triennale de l’ADIAF à l’IAC de Villeurbanne.
En 2017, elle présente, pour la 3ème fois, avec anthony peskine, leur conférence-performance-projection Spider-Man de Maurice Pialat au FRAC Grand Large à Dunkerque.
En 2020, accompagnée par Françoise Pétrovitch, elle bénéficie du programme de Résidence d’Artistes de la Fondation d’Entreprise Hermès.
S’ensuivent, en 2022, deux expositions : Formes du Transfert, aux Magasins Généraux à Pantin et à l’Atelier Hermès à Séoul.
Elle dessine des autoportraits quotidiennement.
En 2023Camille Paulhan tire le portrait de l'atelier qu'elle partage avec son compagnon anthony peskine pour Thank You For Coming tandis que sa série de lithographies Autoportraits en Carpe est acquise par le Centre de la Gravure et de l'Image Imprimée à La Louvière, en Belgique.
Cette acquisition sera présentée lors de l'exposition Nos Géantes pour la réouverture du CGII en janvier 2024.

 

LIFE IS SHORT, PLAY - ÉVA PROUTEAU pour le catalogue de l'exposition au Centre d'Art Contemporain de Pontmain

Lorsque Doisneau arrive chez Picasso, personne ne répond à son coup de sonnette. Il fait le tour de la maison et découvre le peintre en train de déjeuner. Il y a sur la table deux petits pains en forme de mains. Picasso lui dit : "Regardez-­‐les, c'est l'idée du boulanger, ils n'ont que quatre doigts, c'est pourquoi il les appelle des picassos." Le photographe pose un pain de chaque côté de son assiette et Picasso place ses bras sous la table comme si les pains en étaient le prolongement.1

Lorsque Bérengère Hénin se glisse dans la figure de Picasso et rejoue la scène en la twistant d’un geste potache, elle se réapproprie non seulement l’humour surréaliste présent dans le cliché, mais aussi le mythe qu’est devenue cette image. Qu’une jeune artiste femme inconnue au bataillon s’arroge tranquillement le droit de supplanter le maître peintre et de recouvrir d’une seconde signature — la sienne — celle du maître photographe, voilà qui présage d’une douce irrévérence. Le même souffle traverse Hommage à Hockney, où Bérengère Hénin se représente nue devant Hockney et Picasso, déclaration sincère adressée à ces grandes figures tutélaires, que l’artiste mâtine toutefois d’une légère relecture féministe, renégociant avec subversion l’hommage séducteur de Hockney au chef de file du cubisme.

Le mot pourrait bien caractériser une partie du travail de l’artiste : irrévérence mais aussi détournement, ironie, réflexion amusée sur l’art et ses codes, ses valeurs. Sa série intitulée Dessins extraordinaires en témoigne, quatre oeuvres sur papier qui ont en commun une esthétique minimale et naïve, un jeu systématique sur le rapport légende/image et l’accompagnement d’un commentaire audio très fouillé, que le visiteur peut écouter au casque. La teneur du commentaire est universitaire, volontiers jargonnante. Un exemple : sous le dessin d’une carte météo de la France, Bérengère Hénin écrit « Mercredi 8 octobre 2008 ». Le commentaire analyse la banalité d’une telle association — dont la presse nous fournit quotidiennement moult exemples, puis le procédé de décontextualisation qu’opère l’artiste (le message transmis semble dénué de toute pertinence hors de son contexte), et le lien entre cette oeuvre et la fonction phatique du langage décrite par Jakobsen. Après un cours exposé de linguistique pragmatique, le visiteur est ainsi amené à la conclusion suivante : ce qu’il a devant les yeux n’est autre qu’une oeuvre qui nourrit une forme d’inanité artistique, tout comme parler de la pluie et du beau temps meuble le vide communicatif.

Tout cela grince et suggère une philosophie du doute. Ce que Bérengère Hénin moque ici, c’est la prétention à l’autorité dont font preuve de nombreux discours sur l’art, qu’ils soient communicationnels, pédagogiques ou érudits. Et la place étouffante qu’ils prennent parfois…l’art comme poncif, en somme. Cette posture critique lui permet pourtant de faire oeuvre, avec un sens de la dérision remarquable, et de pointer sa propre pratique comme relevant de la vanité, à tous les sens du terme. « L’oeuvre se désigne, mais, ce faisant, elle révèle le rien qui la constitue. »2

Dans cette manière ouverte de brocarder le monde de l’art tout en s’y incluant, l’artiste s’amuse aussi à tourner en ridicule certaines hiérarchies du bon goût : dans Toise, elle classe des stars du monde de l’art en fonction de leur taille, en mimant les annotations faites au crayon sur le mur par des parents soucieux de conserver le souvenir de la croissance de leurs enfants – un geste désacralisant qui égratigne au passage l’arrogance des classements, et leur arbitraire. Lorsqu’elle orchestre la rencontre entre le milieu de l’art et celui des battles – défis de mots que se lancent les slammeurs, le même désir de désacralisation se perçoit. Au passage, on sent chez l’artiste un intérêt pour le langage dans sa dimension conceptuelle autant que dans sa logique oulipienne : elle s’approprie le titre et les règles d’une émission de télé célèbre, Yo Momma, qui filme des battles de TA MERE aux Etats-­‐Unis (où l’on peut entendre des assertions du type : « Ta mère est tellement vieille, que dans sa première photo de classe on voit Jésus.... »). Mais chez Bérengère Hénin, Yo Momma devient Yo MoMA, le musée d’art moderne de la ville de New York, et les battles se voient truffées de références à l ‘histoire de l’art. Le remake est déconcertant de naturel : en bonne héritière de Dada, du surréalisme, du pop art et du post-­‐modernisme, l’artiste poursuit le grand décloisonnement entrepris voici cent ans entre culture savante et culture populaire, en ayant aussi appris d’artistes plus proches — Ed Ruscha ou Claude Closky — comment entrelacer les esthétiques pop et conceptuelle, et reprendre certains aspects de l’art conceptuel sans forcément en partager le sérieux.

D’apparence légère, l’oeuvre porte toutefois une charge socio-­‐politique bien réelle, stigmatisant ici le soi-­‐disant élitisme de l’art, commentant ailleurs notre société de consommation et sa saturation de produits. L’ensemble intitulé Calendrier-­‐Vanité, 2007, s’apparente d’ailleurs à un hommage direct à Claude Closky, l’auteur entre autres de L'Alphabet des marques, où chaque lettre de l'alphabet est représentée par une lettre d'un logo bien connu, le A de Auchan, etc... Au fil de douze vitrines, Bérengère Hénin expose quant à elle sa collection de dates de péremption, épicerie méthodique du temps qui passe, où chaque date découpée de l’emballage d’un produit de grande consommation correspond à un jour de l’année 2007. Présentée comme une collection philatélique, l’installation déroule le résultat de 365 jours vécus au rythme des supermarchés, aliénation de tous les jours érigée en geste artistique.

Car la matière première de Bérengère Hénin gît souvent dans le quotidien et dans les médias les plus démocratiques, télévision ou console de jeux. Une Nintendo DS lui permet ainsi de capter l’air du temps et de dessiner pêle-­‐mêle ce qu’elle filtre de l’actualité du monde, sans hiérarchie de valeur, traitant avec le même humour brut un fait divers et un conflit international, avec la fausse innocence que lui confère cet outil ludique relié à l’enfance. Ailleurs, c’est un slogan imprimé sur T-­‐Shirt qui inspire à l’artiste une variation autour de la vanité (Life is short, Play Rugby), où l’injonction burlesque devient crâne façonné dans un ballon de rugby, confrontant deux histoires divergentes, celle de l’attribut le plus classique de la vanité en peinture et celle d’un accessoire sportif dont la dimension métaphysique laisse pensif. Mystique de la farce.

Cet esprit frondeur se perpétue dans Installation sportive, réalisée dans le cadre de la résidence à Pontmain. Deux écrans juxtaposés donnent à voir la représentation outrée d’équipes de supporters adverses lors d’un match hors-­‐champ. Evidemment, le kitsh des accessoires aux couleurs de l’équipe est au rendez-­‐vous, de même que les mines tour à tour hystériquement joyeuses ou tristes. Détail d’importance : l’artiste a placé une grande horloge numérique entre les deux images vidéoprojetées, dont le défilement induit les points marqués par chaque équipe. A gauche, les supporters rouges marquent ainsi un point à chaque heure de jeu, à droite, les jaunes cumulent un point à chaque minute.

Avec ce combat perdu d’avance, sur lequel planent les figures de Don Quichotte et de Sisyphe, l’artiste fustige moins les contorsions béates du folklore sportif qu’elle n’explore la tradition pataphysicienne et idiote d’un art qui démontre, par l’absurde, que tout, autour de nous, n’est que pure convention…Sous ses dehors de parodie fantaisiste, l’oeuvre porterait alors en elle un message autrement plus glaçant : l’art, comme le sport, serait essentiellement là pour nous divertir de la mort qui approche.

Ce qui traverse l’exposition de Bérengère Hénin à Pontmain est décidemment cette aptitude à fusionner désespérance et causticité, sur des bases systématiquement dialectiques (haut/bas , élitisme/art populaire, idiotie/intelligence). Au gré d’oeuvres éclectiques d’un point de vue formel, l’artiste déploie sa pensée sous forme de 'sampling' visuel où le travail de reprise ou de relecture éclaircit le statut et la fonctionnement de l'image. Une approche réflexive et auto-­‐critique où le rire laisse peu de place à la complaisance arty.

Éva Prouteau

Notes

1 – Anecdote narrée par Peter Hamilton dans Robert Doisneau : la vie d'un photographe, Éditions Hoëbeke. Le reportage était une commande de Pierre Betz pour le magazine du Point. La photo originale s’intitule Les Pains de Picasso, Vallauris, 1952.

2-­‐Claude Closky : d’un désoeuvrement l’autre, Michel Gauthier, in Claude Closky 8002-­‐ 9891, éditions MAC/VAL, 2008, p.105.

LE RIRE TRANSVERSAL - SINZIANA RAVINI pour le catalogue du 56ème salon de Montrouge

« On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui », disait Pierre Desproges. Pourrait-on rire de l’art avec des kids de banlieue ? Dans Yo MoMA, Bérengère Hénin met en scène un duel oral entre deux jeunes de quartiers américains : Big Rob et Big A. La vidéo se réfère à une émission de télévision américaine dans laquelle des gens se lancent des blagues de « ta mère ». Bérengère Hénin remplace les insultes ordinaires par des blagues pointues et érudites : « Your momma is so fat, you have to go visit her at the Monumenta », et « Your momma’s breath is so bad, even Beuys wouldn’t get in a cage with her ». Bérengère Henin s’attaque ici à l’idée de l’art comme chose obscure et élitiste. Car qu’est-ce qui empêcherait, en théorie, qu’un groupe de jeunes s’intéresse à l’art au point de l’utiliser pour exprimer leur habitus ? Bérengère Hénin arrive à mettre en question les hiérarchies culturelles et ouvrir un espace social quasi utopique, celui d’un art accessible à tous, grâce à un rire transversal qui ne connaît pas de bornes culturelles. Bourdieu en aurait été ravi.

Bérengère Hénin rêve de démocratiser l’art. Et pourquoi pas aussi l’art conceptuel, qui est souvent vu comme un art austère et inaccessible ? Dans la série des Dessins Extraordinaires, elle reprend l’un de ses fondements, l’acte performatif de la création artistique : si l’on décide qu’une ligne représente le dernier jour d’un condamné à mort, cette ligne « devient » magiquement la représentation de cette ultime journée.

« Si l’on décide qu’une série de dessins – qui auraient pu être médiocres mais qui sont finalement extraordinaires – est digne d’être accrochée à un mur, alors elle le sera, et cette position sera légitimée par la relation particulière que ce décalage instaure avec le spectateur », nous confie-t-elle.

Une ligne symbolise La terre quand elle était plate ; le dessin d’une fleur non effeuillée représente la possibilité du fait qu’« il m’aime passionnément ». Des textes accompagnent ces dessins : Hénin parodie la forme autoritaire des audioguides, qui nous apprennent ce qu’il faut penser d’une oeuvre. Comme le dit très bien Duchamp, tout dépend finalement du spectateur, dans la mesure où il participe (ou pas) à la signification de l’oeuvre.

Tout artiste crée sa famille de pensée. Bérengère Hénin aime se confronter virtuellement à des artistes tels que Giotto ou Picasso, présentant même ce dernier comme son père dans une photo de famille. En reprenant dans un dessin la signature de Picasso pour former les lettres de son propre prénom, il apparaît alors évident qu’elle se moque de l’idée du « génie » et que sa légèreté conceptuelle, qui n’est pas sans rappeler celle de Baldessari, l’invite aussi à concevoir de la même manière la « virtuosité artistique ».

Elle peut s’aventurer dans des champs nouveaux comme celui de l’animation, pour lequel elle collabore avec Chloé Mazlo, ou de la mosaïque pour une installation dans l’espace public réalisée avec anthony peskine. Hénin ne se classe dans aucun genre, si ce n’est celui de la dérision et de l’humour.

Sinziana Ravini

LE DIVIN MOI - CÉLINE ROBIN pour la revue ARKETIP

Le Divin Moi place l’artiste face à sa légitimité de « créature » à jouer au Créateur.

Bérengère Hénin se saisit du genre de l’autoportrait, s’inscrivant dans la lignée de graveurs-dessinateurs comme Dürer. En réponse au maître allemand, qui ose se dessiner sous les traits du Christ, la jeune artiste s’autorise un contre-pied irrévérencieux : elle envisage l’autoportrait comme l’expression ultime de la Vanité. Elle alterne les registres pour mieux questionner la fatuité de l’artiste élevé (par lui-même) au rang d’idole.

Lyrique, elle se met en scène au milieu de fleurs accusant le caractère transitoire de la vie humaine. Ironique, au travers d’une représentation frontale dépourvue de la moindre complaisance à l’égard d’elle-même. Elle se campe négligemment dans une robe de chambre ou au contraire, vêtue d’un pull dont le raffinement lui vole ostensiblement la vedette. Burlesque, elle apparaît nue mais dotée des attributs viriles du héros mythologique Hercule ou déguisée en Batman pour brocarder une toute puissance masculine érigée en dogme sous les traits de supers héros.

Chez Bérengère Hénin, le Divin Moi s’affiche comme un manifeste doublement frondeur. Dans la critique amusée de la toute puissance d’un artiste rendu grotesque par la mise en scène d’un ego démesuré. Comme dans l’appropriation par une femme de codes de représentation réservés au divin Mâle.

Céline Robin

lien vers l'intégralité de la Revue Arketip : article et entretien

/// BÉRENGÈRE HÉNIN /// JULIE CRENNpour la revue BRANDED

Tous les chemins mènent vers l’histoire de l’art. Par le dessin, la vidéo, la sculpture, l’installation ou la performance, Bérengère Hénin en explore les méandres et les icônes pour interroger le contexte de création, le positionnement de l’artiste et les critères de légitimation de son œuvre. Il est complexe pour un jeune artiste de faire fi du passé et de parvenir à créer des nouvelles formes et des nouveaux concepts. Comment se débarrasser des héritages, des mythologies, des mouvements artistiques et des références qui collent aux formes et aux esthétiques ? Le poids du passé peut s’avérer être soit un frein, soit un moteur de création. Bérengère Hénin a choisi son camp en s’attaquant au sujet de manière réjouissante. Elle s’empare de l’histoire de l’art pour opérer à des déplacements et des décalages. En 2010, elle filme Yo MOMA, la mise en scène d’une battle entre deux Big Rob et Big A, deux jeunes Américains qui s’affrontent sur le terrain des mots. Ils échangent chacun leur tour des jeux de mots, des blagues et des insultes dont les racines proviennent de l’art, du passé comme du présent. Ta mère est tellement grosse qu’on va la voir à la Monumenta. En ce sens, l’histoire de l’art et les mécanismes de l’art contemporain constituent une matière de réflexion. Plus tard, l’artiste parcourt les salles du Musée du Louvre. Ses visites donnent lieu à une série de dessins intitulée Le Louvre de Poche (2011). Réalisés sur son téléphone portable, les dessins constituent une version numérique du traditionnel dessin de copie. Tout jeune artiste se doit de copier les grands maîtres dont les œuvres sont hébergées dans les grands musées. Bérengère Hénin revisite à sa manière une tradition inhérente à la formation d’un artiste et à l’idée de transmission.


Bérengère Hénin incarne pleinement cette exploration de l’art en lui donnant conférant une dimension à la fois personnelle et fictive. Ainsi en 2007, elle réalise une photographie intitulée Mon père ce héros. L’image en noir et blanc est un véritable portrait de famille. Pourtant, le visage du père de l’artiste est remplacé par celui de Pablo Picasso. L’œuvre fait ironiquement référence à « la grande famille de l’art ». La même année, sur une feuille de papier elle dessine à l’encre de Chine Bérengère, un prénom qui résonne comme un autoportrait. L’artiste reprend avec fidélité la typographie de la célèbre signature de Picasso. Au fil des œuvres se dessine une volonté de se mesurer aux monstres sacrés de l’art. En 2012, elle présente Sans titre – Hommage à Hockney, un diptyque où des dessins se font face. À gauche, Picasso et Hockney sont assis face à une table. À droite, Bérengère Hénin, nue et sereine, apparaît de l’autre côté de la table. Elle cite une œuvre d’Hockney, Artist and Model (1973-1974), où l’artiste anglais affronte nu le maître espagnol. Bérengère Hénin pose ainsi la question du positionnement de l’artiste par rapport à une histoire collective, riche et aliénante. Les œuvres traduisent à la fois une difficulté (une mise à nu permanente), mais aussi une extrême liberté. Non sans humour, elle pointe également du doigt l’identité machiste de cette histoire collective. C’est dans cette perspective qu’elle reprend Les douze travaux d’Hercule (2009), où elle incarne, une à une, des douze épreuves bravées par le héros antique. L’œuvre vidéo présente l’artiste vêtue d’un bleu de travail qui accomplit vaillamment les différents exploits. Parce qu’elle doit premièrement « tuer le lion de Némée », elle décide d’éteindre un téléviseur alors que le lion de la Metro Goldwyn Meyer rugit sauvagement. Une autre œuvre, discrète et cocasse, lui permet de se mesurer de manière littérale aux artistes majeurs ovationnés par l’histoire de l’art. Toise (2012) consiste à marquer d’un trait, sur le coin d’un mur blanc, la taille d’Andy, de Jean-Michel, de César, de Léonard ou de David. Le protocole, absurde et désopilant, constitue un nouveau critère d’évaluation. Bérengère Hénin remet clairement en cause les notions de génie, de héros ou de maître. Les œuvres invitent à une désacralisation des œuvres et des artistes. L’ironie, l’idiotie et l’absurdité inscrites dans sa réflexion et ses formes, soulignent les manques, les oublis et les écarts qui constituent l’histoire de l’art. Les œuvres participent ainsi à une réécriture d’une histoire inutilement autoritaire et sclérosante.

Julie Crenn

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